Audition de Paul DEVIN, secrétaire général du SNPI-FSU, par la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession.
16/03/2015
Sur cette question d’une perte des repères républicains révélée par la vie dans les établissements scolaires, il importe de retrouver les qualités d’analyse qui ont manqué à bien des commentaires médiatiques dans les semaines qui ont suivi les événements de janvier dernier. La réalité de situations singulières, si graves et si inquiétantes soient-elles, ne peut être confondue avec un constat général qui témoigne, au contraire, de l’attachement d’une immense majorité des élèves aux valeurs qui garantissent les principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité. On pourrait multiplier les témoignages qui écarteraient l’hypothèse que la perte des valeurs républicaines constitue une caractéristique généralisée de la vie des écoles, des collèges et des lycées.
L’analyse des incidents doit faire la part des choses pour identifier ceux qui constituent le témoignage d’un refus des valeurs républicaines. L’émotion, que les attentats de janvier a suscitée, a parfois conduit à interpréter comme témoignant de radicalisation des comportements qui ne relèvent en fait que des traits particuliers de l’adolescence. La recherche d’une provocation des adultes par l’expression de propos outranciers, la volonté de se soustraire à une réaction générale par anticonformisme et opposition systématique obéissent à des phénomènes de sociabilité adolescente dont les historiens ont montré que, contrairement au sentiment permanent d’une dégradation des comportements juvéniles, ils avaient, de tous temps, sous des formes différentes, inquiété les adultes. Reconnaissons que le choix d’une minute de silence dans des délais qui empêchaient tout travail préparatoire des enseignants conduisait à exagérer le risque de réactions spontanées.
La première condition d’une lutte contre le développement de réactions radicales est d’être capable de telles distinctions pour éviter de confondre la défense des valeurs républicaines avec la justification d’un autoritarisme éducatif qui, au prétexte de la gravité de certaines dérives, justifierait de privilégier les réponses disciplinaires, les exclusions et les prescriptions comportementales.
La seconde condition est que nous considérions que la construction des valeurs républicaines est un travail éducatif long et patient. L’école ne peut exiger de ses élèves un état spontané qui satisferait à toutes les exigences citoyennes. Les valeurs ne procèdent pas d’une adhésion morale immédiate contrainte par une autorité coercitive des enseignants. Elles sont le résultat d’une construction intellectuelle permise par une autorité qui s’inscrit dans la compétence des enseignants à transmettre des savoirs, à construire des compétences. Il ne s’agit pas ici de nier que le respect des règles soit exigible mais de considérer que la mission première de l’école est de donner aux élèves les connaissances qui leur permettent de comprendre que la loi et ses contraintes garantissent la liberté individuelle et collective. Et que cela ne peut se confondre avec les illusions d’un conformisme comportemental.
Une telle éducation ne peut se concevoir sans que l’école permette l’expression des opinions des élèves. Une telle liberté n’est pas contradictoire ni avec la lutte contre les préjugés et les stéréotypes, ni avec l’exigence que cette liberté d’expression se construise de pair avec le respect des opinions des autres.
Ce travail, l’école le poursuit depuis longtemps et les jugements rapides qui ont mis en doute sa responsabilité ne peuvent être compris par les fonctionnaires de l’Éducation nationale qui au quotidien, tant dans leurs enseignements disciplinaires que dans la vie scolaire, font de la formation du citoyen un objectif majeur de leur exercice professionnel et l’investissent en toute conscience de ses enjeux.
Les difficultés qui ont été rencontrées par les enseignants s’inscrivent tout d’abord dans la nature exceptionnelle des événements et, de fait, dans l’impréparation à pouvoir réagir au mieux. Vu de l’extérieur, d’aucuns pourraient s’étonner de ces difficultés, considérant que l’éducation à la citoyenneté devrait s’inscrire dans la base même des compétences de tout enseignant. Mais à entendre le récit des difficultés rencontrées, on perçoit facilement l’immense complexité à trouver des réponses éducatives dont l’ambition n’est pas celle de la régulation des comportements mais celle de la construction des valeurs. Permettez-moi une anecdote : à sa maîtresse qui expliquait le droit de libre expression de la presse et tout particulièrement dans ses formes satyriques, un élève exprimait son étonnement, percevant cette affirmation comme contradictoire avec la règle habituelle de la classe : « on ne se moque pas de ses camarades ». Ce n’est pas si simple de répondre aux questions des élèves.
Les débats qui ont suivi les attentats de janvier ont témoigné de la complexité de ces questions dans le monde adulte. Il ne faudrait pas négliger que cette complexité est plus grande encore avec des enfants ou des adolescents.
Pour faire face à cette complexité, les enseignants ont besoin de formation. Or, il faut reconnaitre que la situation de la formation initiale et continue reste des plus préoccupantes. La mise en œuvre d’une formation de 1000 enseignants constitue une étape positive mais nous pouvons être inquiets des moyens qui seront disponibles pour permettre l’étape suivante, celle d’une généralisation qui, à partir de ce premier noyau, constitue une logique indispensable pour aider l’ensemble des enseignants.
Je voudrais, pour terminer, dire notre détermination à contribuer, par le biais de nos missions d’inspection et de formation des personnels enseignants, à une meilleure capacité de l’école à former des citoyens instruits et responsables, capables de défendre les valeurs de la république parce qu’ils en ont compris l’essence même et la nécessité sociale. Mais je ne peux dire cette détermination sans rappeler qu’il faut se garder d’imaginer que l’école puisse y suffire. Connaître et comprendre des droits, c’est aussi être certain de la capacité de la République à en garantir l’effectivité. Or nous devons constater une corrélation entre les incidents les plus inquiétants qui ont pu se dérouler dans les établissements scolaires et l’environnement social et économique de ces établissements. Il serait simpliste de considérer qu’il y aurait là une causalité univoque. Mais les valeurs de la République resteront incompréhensibles aux élèves de ces quartiers s’ils ne peuvent constater l’effectivité de ces valeurs dans leurs vies quotidiennes. L’école ne parviendra pas à ce que ses élèves s’approprient la construction intellectuelle de valeurs si ces valeurs se présentent pour eux sans lien avec la réalité sociale, économique, juridique, politique de leurs environnements quotidiens. Force est de constater qu’aujourd’hui pour beaucoup d’élèves cela fait obstacle à la construction d’une confiance dans la République, confiance qui reste une condition nécessaire pour permettre une adhésion pleine et entière à ses valeurs.
Communiqué suite au rapport sénatorial
COMMUNIQUE SNPI
13 juillet 2015
Mobilisation pour les valeurs de la République
COMMUNIQUE SNPI
26 janvier 2015