EPI : l’interdisciplinarité et la réforme du collège
Paul DEVIN
extrait de la lettre d’informations aux adhérents n°56

Réforme du collège : les inspecteurs discrets mais tout aussi remontés
Sonia Bourhan, France Inter,  publié le mercredi 3 juin 2015 à 17h05

Ce mercredi, c’est la « journée nationale des collèges ». Les syndicats d’enseignants ont prévu des débats, des assemblées générales et des rassemblements, en plein bras de fer avec le gouvernement sur la réforme du collège. Mais il n’y a pas que les professeurs qui s’inquiètent.Après une première grève il y a 15 jours, avant une autre prévue dans une semaine, les opposants à la réforme portée par Najat Vallaud-Belkacem ne veulent pas cesser de se faire entendre. D’où cette « journée nationale des collèges » qui se veut un nouveau moment clé de la contestation.

Les inspecteurs inquiets eux aussi
On entend beaucoup les professeurs depuis le début du mouvement, notamment sur la question des classes bilangues, du latin, de l’interdisciplinarité. Plus discrets mais tout aussi remontés, certains inspecteurs de l’Education nationale font aujourd’hui eux aussi entendre leur voix.Le reportage de Sonia Bourhan
Certains inspecteurs sont sceptiques. Ils ont de sérieux doutes sur l’objectif affiché de la réforme, qui est sur le papier d’améliorer la réussite scolaire de tous les élèves. Selon Paul Devin, secrétaire général du SNPI-FSU, syndicat national des personnels d’inspection, ce n’est pas le véritable but. « Ce qui est inquiétant, c’est que cette réforme n’est pas nouvelle. Elle a été préparée il y a très longtemps. Un rapport de l’inspection générale des Finances de 2006 prévoyait tous les éléments de cette réforme. Il lui donnait des objectifs de rationalisation budgétaire, d’économies. »

Aucune réforme ne peut se mettre en oeuvre si elle n’est pas partagée. La certitude des finalités doit être acquise aux enseignants.
L’inspecteur fait aussi remarquer que la formation des enseignants est indispensable, surtout pour l’enseignement interdisciplinaire qui ne s’improvise pas. Or, rien n’est prévu par la réforme.

Tribune signée par les syndicats de la FSU et le SIA, parue dans l’Express

sur le site de l’Express

Le gouvernement présente la réforme du collège comme une évolution nécessaire à une plus grande démocratisation de la réussite scolaire. Aussi, certains veulent-ils faire croire que celles et ceux qui s’y opposent manifesteraient, sans aucune nuance, leur résistance à tout changement au risque d’enfermer davantage les jeunes dans la détermination sociale de leurs parcours scolaires.

Pourtant, c’est justement parce que nous, enseignants, personnels de vie scolaire, d’orientation, personnels administratifs, personnels de direction et d’inspection, aspirons à des transformations capables de relever les défis de la démocratisation de la réussite scolaire que nous nous opposons à cette réforme du collège. Et cela devrait suffire à ce que notre opposition ne puisse être suspectée de conservatisme ou confondue avec celles guidées par d’autres motivations qui sont pourtant, d’évidence, si éloignées des nôtres.

Effectifs de classe croissants
On nous affirme que l’amélioration qualitative du service public d’éducation repose sur une plus grande autonomie donnée aux établissements, qu’il en résulterait systématiquement une dynamique favorable aux élèves. Les pays qui ont fait un tel choix devraient pourtant nous appeler à des prudences élémentaires. Le bilan des lycées professionnels et agricole est loin de témoigner des vertus systématiques de l’autonomie Tout deux attestent au contraire de l’accroissement des inégalités et de la dégradation des conditions de travail des personnels source de souffrances nuisant à la qualité des apprentissages des élèves.

Cette autonomie, qui ne peut être confondue avec l’affirmation que les enseignant-es et les équipes sont les concepteurs de leurs enseignements, est devenue l’argument d’une amélioration qualitative du service public d’éducation. Or dans un contexte d’insuffisance de moyens, ce n’est pas du dynamisme pédagogique qui en résultera mais une concurrence entre les établissements, les disciplines, les personnels, les projets et un renforcement des pouvoirs hiérarchiques produit par une tension entre une injonction et les moyens.. Alors que la réforme postule une meilleure concertation des équipes, elle risque de conduire à ce que des stratégies managériales décident de ce qui devrait résulter de la construction collective.

La qualité des services publics a un coût. On ne peut prôner une meilleure prise en compte de la situation de chaque élève quand les effectifs de toutes les classes continuent à croître. On ne peut prétendre améliorer la compétence professionnelle des personnels quand on a tant réduit leur formation continue.

Penser la question de l’interdisciplinarité ne peut se faire sans une analyse des dispositifs précédemment mis en oeuvre et particulièrement celui des itinéraires de découverte. Car l’enjeu n’est pas, en soi, celui de l’interdisciplinarité mais celui de la construction par l’élève de liens porteurs de sens entre les concepts disciplinaires afin d’être en capacité de comprendre le monde dans sa complexité. La mise en relation thématique que proposent les enseignements pratiques interdisciplinaires ne garantit en rien cette construction de sens. Elle se nourrit des illusions que l’ancrage des apprentissages dans la production concrète serait de nature à faciliter la réussite des élèves. Mais les enseignant-es savent que la question est largement plus complexe, que la construction des savoirs disciplinaires est une composante forte de l’interdisciplinarité. Et quoique les argumentaires officiels en disent, sans une définition d’objets d’étude et leur relation aux disciplines, le temps consacré à leur acquisition va être réduit. À ignorer ce risque, nous produirions des organisations pédagogiques illusoires, valorisées par une visibilité qui donne le sentiment d’un progrès des élèves sans leur offrir les conditions réelles d’une meilleure maîtrise des connaissances et des compétences visées. Là encore, construire une relation entre les programmes disciplinaires nécessite un cadre réglementaire national clair : ceux de la concertation des équipes enseignantes, de leur formation continue. Cela nécessite aussi une réelle prise en compte des travaux de recherches didactiques ou épistémologiques qui ont montré la complexité de cette question.

Une école égalitaire
On ne pourra réformer le collège sans l’adhésion des personnels. La manifestation de leur opposition à cette réforme n’est pas le résultat d’une incompréhension et ne pourra être dissipée par l’effort pédagogique des cadres de l’Éducation nationale à expliquer les vertus des dispositions prises. Cette opposition s’ancre dans l’attachement aux valeurs républicaines.

C’est parce qu’ils veulent une école égalitaire que les enseignants refusent une telle réforme. C’est aussi parce que leurs compétences professionnelles, pédagogiques et didactiques, les mettent en garde contre les illusions.

En s’opposant à la réforme du collège, ils ne font pas preuve de conservatisme, ils ne mêlent pas leurs voix à ceux dont les protestations sont guidées par des projets encore plus inégalitaires. Ils affirment les raisons fondamentales pour lesquelles ils ont choisi leur métier : contribuer à un service public d’Education capable de donner à toutes et tous une culture commune exigeante et ambitieuse.

S’ils refusent cette réforme c’est parce qu’ils ont l’intime conviction qu’elle ne leur donnera pas les moyens réels de mieux exercer leurs missions. C’est cela qu’ils disent haut et fort en demandant l’abrogation du décret du 20 mai. Ne pas vouloir les entendre constituerait une erreur grave au moment où le constat de la nécessité d’une amélioration du collège est unanime.

Les personnels ont l’ambition de donner à tous les élèves les savoirs nécessaires à la compréhension du monde et à l’exercice d’une citoyenneté libre et responsable. Mais ils ne pourront le faire sans un engagement politique déterminé à leur en donner les moyens.

Olivier BLEUNVEN, secrétaire général adjoint du SNETAP-FSU (Enseignement agricole public)
Sigrid GIRARDIN, co-secrétaire générale du SNUEP-FSU (Enseignement professionnel public)
Paul DEVIN, secrétaire général du SNPI-FSU (Personnels d’Inspection)
Igor GARNCARZYK, secrétaire général du SNUPDEN-FSU (Personnels de direction)
Benoît HUBERT, secrétaire général du SNEP-FSU (Enseignants d’EPS)
Frédérique ROLET, co-secrétaire générale du SNES-FSU (Enseignements du second degré public)
Bruno LEVEDER, secrétaire général du SNASUB-FSU (Personnels administratifs)
Michèle VINEL, co-secrétaire générale du SIA (Inspecteurs d’académie)

La tribune en ligne sur l’Express

http://www.lexpress.fr/actualite/pour-une-autre-reforme-du-college_1686641.html

Intervention de Paul DEVIN, secrétaire général du SNPI-FSU, devant la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat

vidéo de l’intervention
SNPI 36’25″

vidéo des questions et des réponses des syndicats
SNPI 31’56″ et 86’0

le rapport : interventions et débats
lire en ligne


« Ne contraignons pas les enseignants à une interdisciplinarité prescrite »

Interview de Paul DEVIN dans Le Monde – La lettre de l’éducation
juin 2016